L’unité « Patrimoines locaux» (UMR 208 – MNHN/IRD) vous invite à participer au séminaire de recherche
Le local dans la valorisation et mise en scène des patrimoines
IRD/MNHN/CEMAF/CRBC
Organisateurs : Marie-Christine Cormier-Salem (géographe, IRD), Dominique Juhé-Beaulaton (historienne, CNRS), Yves Girault (muséologue, MNHN), Dominique Guillaud (géographe/géographie culturelle, IRD), Bernard Roussel (ethnobotaniste, MNHN)
Ce séminaire, après avoir exploré les processus de construction des patrimoines naturels dans les pays du Sud, propose maintenant de mettre plus particulièrement l’accent sur les nouvelles formes de valorisation des patrimoines, tant naturels que culturels.
Le séminaire s’intéressera aux recompositions sociales, aux réorganisations spatiales et institutionnelles, aux problèmes de conservation de la diversité biologique et culturelle, de transmission des savoirs et savoir-faire locaux face à la valorisation et la mise en scène des patrimoines locaux dans des contextes écologiques, politiques, économiques et sociaux en mutation rapide ou sur la longue durée.
Les interventions s’attacheront à décrire et analyser le jeu des acteurs, leurs actions et leurs discours dans les processus de validation et de mise en scène des objets patrimoniaux qui se rapportent aux territoires, aux ressources, aux savoirs et aux savoir-faire. Les analyses interrogeront aussi les stratégies qu’ils recouvrent.
Une attention particulière sera accordée aux choix effectués par les communautés lorsqu’elles donnent à voir leur culture, leur histoire ou leur cadre de vie (notamment dans une perspective de valorisation touristique). Les opérations de muséologie qui présentent souvent une interface plus institutionnelle ainsi que les instrumentalisations marchandes ou politiques du patrimoine – de la quête de l’identitaire à la construction nationale – seront aussi étudiées sous l’angle du local.
Les approches pluridisciplinaires, associant en particuliers les sciences humaines et sociales aux sciences de la nature, seront privilégiées et permettront par exemple de mieux saisir les enjeux identitaires dans le cadre d’échanges globalisés et dans des situations de conflits d’accès et d’usage.
Prochaine séance – Mardi 15 mars 2011 au MNHN – 14H30 à 17H00
« Grand Amphithéâtre d’Entomologie »
45 rue Buffon – Paris 5ème – Métro Austerlitz.
Intervention – Cleve EMOURGEON
« Usages et représentations de l’éléphant en Thaïlande. L’animal, le patrimoine, le symbole »
Résumé :
Entre obsolescence et voie de disparition, comment redonner sa signification à l’animal emblématique d’une identité nationale ? Étude de cas de l’éléphant en Thaïlande : Enjeux et stratégie de conservation, de patrimonialisation et de touristification de l’animal.
En Thaïlande, l’éléphant est étroitement associé aux trois piliers identitaires thaï : la royauté, la religion et la nation. Depuis les premiers royaumes siamois, l’animal figure parmi les animaux de la cour et est l’instrument et la marque de la puissance et du bon gouvernement du souverain. Par ailleurs, la mythologie brahmanique et bouddhiste regorge de représentations de l’animal, l’associant ainsi à la religion thai mais également au monarque bouddhique. Il est alors tout particulièrement lié à l’abondance du royaume dont est garant le roi. Enfin, utilisé en masse pour le transport de biens et d’individus jusqu’au début du XXème siècle, mais surtout dans l’industrie du teck à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle, le pachyderme participa à la construction tant territoriale qu’économique de la nation, dont il est l’emblème. Aujourd’hui, animal en voie de disparition, le nombre de proboscidiens est passé d’une centaine de milliers au début du XXème siècle à entre 2500 et 3000 pour ceux domestiques et environ 1500 pour ceux sauvages. S’ajoute à ce fait écologique, une rupture dans l’utilisation de l’éléphant qui depuis le ban de la déforestation en 1989, est devenu obsolète, les hommes n’ayant plus besoin de sa force de travail ni dans la guerre ni dans le bûcheronnage. Comment la Thaïlande gère alors ces nouvelles donnes concernant son symbole ? Comment se constitue sa patrimonialisation ? Dans un premier temps, j’analyserai les pertes de sens pour la population des représentations du pachyderme du fait ces deux ruptures, écologique et sociale, afin de dégager les enjeux qui se jouent autour de la patrimonialisation de l’animal. Puis, j’étudierai les deux plus grandes initiatives en matière de préservation de l’animal en Thaïlande à travers le travail de la plus grande ONG thai pour la sauvegarde du pachyderme, Friends of Asian Elephant,et celui de l’état et la royauté au sein de l’Institut National de l’Éléphant, plus connu sous le nom de Centre de Conservation de l’Éléphant Thaï. En effet, si leur but est de préserver l’animal, les moyens et les enjeux ne sont pas toujours les mêmes entre une ONG, faisant office de contre pouvoir, et un Institut gouvernemental dans un pays où la politique est extrêmement centralisée. J’analyserai alors leurs propres travaux, leurs projets et leurs modes de gestion de la préservation de l’animal afin de les mettre en perspectives. Je dévoilerai comment sont pensés par ces deux institutions l’animal et les problèmes qu’il rencontre ainsi que les innovations et les remises en question de certains maillons du système domesticatoire de l’éléphant dans le pays. Par ailleurs, je montrerai que dans les deux cas, ces organisations s’insèrent dans les politiques de développement durable et de la préservation de l’espèce dans leur définition actuelle prenant en compte le système domesticatoire et les savoir-faire locaux comme référence et doivent jouer et compter sur des actions et acteurs internationaux de la conservation de l’éléphant même si toutes deux désirent avant tout garder un capital culturel et symbolique de la Thaïlande. Je verrai également, qu’autrefois, l’éléphant, vivant grâce au travail des cornacs, se voit aujourd’hui pris en charge par un plus grand nombre de profession et que de nouveaux réseaux apparaissent pour aider cet animal. Autre étape de la patrimonialisation, j’étudierai la mise en tourisme de l’éléphant au sein de l’institut mais également dans de nombreux camps touristiques privés. Ceci débouchera à une comparaison d’un éco-tourisme réalisé dans l’institut et un tourisme sauvage dans les camps. Je montrerai alors que le tourisme diffuse les images de l’éléphant ayant cours avant les ruptures, redonnant une nouvelle place à l’animal et conservant mécaniquement ses représentations de symbole de la nation, tout en étant devenu un bien de consommation de masse. Dans ce même sens, je démontrerai que depuis plus d’une décennie des inventions de traditions mettant l’éléphant au cœur de rituels s’effectuent, lui redonnant ainsi une place dans la vie quotidienne ou cérémonielle thaïlandaise. Plusieurs actions conjuguées permettent ainsi de sauvegarder l’animal et de lui redonner du sens dans un contexte de crise écologique mais également sociale du fait de l’évolution de la société. La pluralité de ces actions démontre que les premiers enjeux et causes de la préservation d’un animal ne sont pas forcement l’écologie, d’un point de vue stricte, mais l’investissement symbolique et les représentations qu’une culture a de lui. Je dévoilerai alors les différentes relations que les acteurs de cette patrimonialisation ont avec l’éléphant : domestication, soin, compassion, conservation, promotion et faire valoir économique. Cette présentation fera alors apparaitre les mécanismes d’innovation en matière de domestication, d’usages et de gestion de l’animal mais également de création de réseaux et de sauvegarde des savoir- faire locaux afin de préserver l’éléphant comme symbole dans un moment de crise.
Cleve Emourgeon
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Renseignement – Contact : Ludivine Goisbault – paloc@mnhn.fr – Tél : 01.40.79.36.70
Muséum National d’Histoire Naturelle – UMR 208 « Patrimoines Locaux » – MNHN/IRD – Département Hommes, Natures, Sociétés – 57 rue Cuvier – CP 26 – 75231 Paris cedex 05 – www.paloc.ird.fr